Le pouvoir est à toi, jeunesse pugnace
Dans sa Lettre à la jeunesse (1897), Émile Zola a adressé une vibrante supplique à la génération qui fleurissait au détour du 20e siècle :
Qui se lèvera pour exiger que justice soit faite, si ce n’est toi qui n’es pas dans nos luttes d’intérêts et de personnes, qui n’es encore engagée ni compromise dans aucune affaire louche, qui peux parler haut, en toute pureté, en toute bonne foi?
Depuis son nuage, Zola est surement ému, ces temps-ci.
Toi, jeunesse volontaire qui bat le bitume aujourd’hui pour exiger qu’on protège ton avenir, merci. Merci et surtout pardon, car ma génération et celles qui l’ont précédée t’ont précipité dans le goulot de l’entonnoir. Mais toi, jeunesse pugnace, tu te tiens debout, tu questionnes, tu exiges.
Je suis triste de voir le peu de cas que les politiciens font de toi. On te sert des lignes de communication qui sentent le poisson réchauffé au micro-onde. On te dit que tu ne comprends pas, que la transition doit s’opérer par étape, que tu es trop pressé. Certains vont même jusqu’à critiquer tes propres choix, te cherchent des poux, des travers, pour te retirer ta légitimité.
Jeunesse indomptable, continue. Et sache que tu as un atout précieux dans ta manche : ton talent. Tu peux faire chanter l’économie du Québec en entier si tu l’utilises à bon escient.
Je t’explique.
Entre la volonté citoyenne et la capacité d’action des politiciens, il y a un enfarge de taille : l’économie. Les gros sous. Les revenus d’impôt. Les lobbies. Tous ces termes étant les rhizomes d’un même paradigme réactionnaire qui paralyse la majorité des grandes puissances.
Or, l’économie florissante de notre Belle Province vacille sous le joug de la pénurie de main-d’œuvre. Et c’est là que tu peux tout changer, tu me suis? Tout le monde te veut, toi le manœuvre sans diplôme, toi l’ingénieur-e, toi l’infirmier-ère, toi l’électromécanicien-ne, toi le-la soudeur-se. Même pour créer les robots qui prendront la place des humains et atténueront la crise, on a besoin de ton talent. Sans toi, point de salut.
Alors voici ce que je te propose. Avant de mettre ton talent à la disposition d’un employeur, mets tes conditions, en toute pureté, comme l’exhortait Zola. Tu auras surement plus d’idées que moi, mais en voici en vrac :
- Est-ce que vous utilisez une énergie fossile dans vos procédés industriels ou pour vous chauffer?
- Est-ce que vous mettez des bacs de recyclage à la disposition de tous?
- Est-ce que le contenu de ces bacs finissent bel et bien au recyclage?
- Est-ce que votre cafétéria utilise de la vaisselle et des couverts réutilisables?
- Est-ce que vous offrez des incitatifs pour que les employés viennent travailler en vélo ou en transport en commun?
- Est-ce que vous participez aux efforts de symbiose industrielle?
- Est-ce que votre rente collective est investie dans les énergies fossiles?
Tu vois? C’est toi qui a le gros bout du bâton. Si tu te tiens debout comme te le fais aujourd’hui, l’économie va ployer sous tes exigences. Utopies? Peut-être, sauf si vous vous y mettez tous.
Où allez-vous, jeunes gens, où allez-vous étudiants qui battez les rues, manifestants, jetant au milieu de nos discordes la bravoure et l’espoir de vos vingt ans?
– Nous allons à l’humanité, à la vérité, à la justice!
(crédit photo : Jacques Nadeau, le Devoir)